Rumeur - La forêt habitée

13e jour du deuxième mois d’hiver, an 1138

Kyria rentra un peu tardivement à la maison, il faisait déjà nuit, mais en hiver les jours étaient si courts et le soleil si absent qu’il était difficile de se rendre compte de l’heure. Elle avait quand même eut de la chance avec la Garde, les monsieurs avaient eut la gentillesse de la laisser rentrer quand même. Heureusement, sinon elle aurait dû dormir dehors et Luk et ‘Pa se seraient inquiétés.
L’hiver étant la période creuse pour les Moissonneurs, ‘Pa laissait plus de liberté à ses enfants qui pouvaient aller courir les rues autant qu’ils le voulaient tant qu’ils étaient rentrés avant la nuit, car, disait-il, la nuit n’est pas faite pour les enfants. Cette année, ‘Pa était même encore plus gentil qu’avant, et moins sévère. Quand ils rentraient, Luk et Kyria avaient droit à du lait chaud avec du miel, ou plus souvent à un bol de soupe de lutfa, et ‘Pa leur demandait de raconter leur journée. En fait, tout était différent depuis que la jolie dame étrange était passée dans la vie de la fillette, ce jour où elle s’était perdue à cause de Padok, Kyria ne l’avait jamais revu mais elle pensait très souvent à elle. ‘Pa avait arrêté de boire et de lever la main sur eux, même quand il était en colère et que sa main se levait comme avant, il s’arrêtait soudain, avait un air bizarre sur le visage et dans les yeux, et puis d’un coup il se calmait et disait que ce n’était pas bien, qu’il ne fallait pas recommencer.

Kyria arriva toute essoufflée. Elle avait courut dans les rues pour essayer de ne pas arriver trop en retard. Elle ne craignait plus la colère de ‘Pa, même si elle restait quand même sur ses gardes, mais surtout elle avait peur de le décevoir ou qu’il s’inquiète.
En rentrant, elle fit claquer la porte, c’était sa manière à elle de dire “je suis rentrée” à défaut de pouvoir le crier elle-même. Padok se jeta aussitôt sur elle pour venir lui lécher le visage avec sa grosse langue. Elle le repoussa avec un rire silencieux et une grimace de dégoût, et puis ‘Pa arriva derrière le chien.

« Où tu étais ? Je m’inquiétais. »

Kyria baissa les yeux. Elle s’en doutait, il était déçu. Et par signe, avec ses mains, elle lui expliqua qu’elle ne s’était pas rendu compte de l’heure. Elle s’était rendue au cimetière et puis avait été se promener aux alentours ensuite. Comme elle gardait les yeux baissés sur ses chaussures boueuses, elle ne pouvait pas voir la réaction de ‘Pa.

« Tu n’as pas été dans la forêt au moins ? »

Kyria secoua la tête pour dire non et elle entendit un soupir, come si ‘Pa était soulagé, alors elle releva les yeux. Il n’avait pas l’air fâché.

« Tu ne me gronde pas ? » demanda-t-elle avec ses petites mains.

« Non. Je sais que ta mère te manque, à moi aussi elle manque. Allez viens te réchauffer avec nous. »

Luk était assit à côté de la cheminée, à même le sol jonché de paille pour protéger un peu du froid. Il avait entre les mains un bol de soupe déjà à moitié vide. Kyria alla s’asseoir à côté de lui et ‘Pa lui servit à elle aussi un bol de soupe. Quand elle l’eut entre les mains, le patriarche s’installa dans son fauteuil.

« Kyria, j’aimerais que tu n’y retourne pas seule. Le cimetière est trop proche de la forêt et tu sais qu’il y a des choses dangereuses là-bas. »

Tenant son bol fumant contre sa poitrine, Kyria acquiesça en regardant ‘Pa.

« Tu sais ce que disent les Chasseurs. Il y a des bêtes qui ont une apparence humaine et qui entrainent les gens loin dans les bois pour les manger. Je ne veux pas qu’ils te mangent. »

Oui, Kyria savait. On disait que vivaient dans la forêt des êtres à la fois homme et bête. Elle n’avait pas entendu dire qu’ils attiraient mais plutôt qu’ils chassaient les humains, et beaucoup de gens disparaissaient dans les bois. Beaucoup d’enfants surtout. La forêt n’était pas un lieu fréquentable et encore mois pour une fillette.

« Promets-moi de ne plus y retourner seule et surtout pas de nuit. » demanda ‘Pa.

Et Kyria promit.